Les grands projets de l’Union Européenne

Les grands projets de l’Union Européenne

L’étude présentée ici date de 2007, juste avant que ne se déclenche la dernière grande crise mondiale avant la pandémie. Nous verrons dans un autre article plus récent comment cette crise a obligé l’UE à réviser sa politique de financement des grands projets que ses options néolibérales conduisait à confier entièrement au secteur privé, au travers de Galiléo;*, le dernier grand projet ouvert depuis 1995 et qui va peut-être devenir 100% opérationnel … 26 ans après.

______________________________________________________________

AIRBUS, ARIANE, GALILEO

L’aérospatiale plombée Exposé débat Attac Paris 12ème 17 Décembre 2007-12-12

C.L.

Sommaire

1 Trois destins parallèles ……………………………………………………………………………………………… 2

1.1 Avant propos …………………………………………………………………………………………………….. 2

1.2 L’envol aéronautique………………………………………………………………………………………….. 2

1.3 Du V2 à Ariane …………………………………………………………………………………………………. 3

1.3.1 Premiers pas vers l’espace…………………………………………………………………………….. 3

1.3.2 Collaboration et échec………………………………………………………………………………….. 4

1.3.3 L’envolée d’Ariane …………………………………………………………………………………………. 4

1.3.3.1 Renaissance ………………………………………………………………………………………….. 4

1.3.3.2 Réorganisation………………………………………………………………………………………. 5

1.4 Les systèmes spatiaux ………………………………………………………………………………………… 5

1.4.1 Les satellites ……………………………………………………………………………………………….. 5

1.4.2 Le segment sol…………………………………………………………………………………………….. 6

1.5 La situation au début des années 80 ……………………………………………………………………… 7

1.5.1 Ariane sur le marché des lanceurs………………………………………………………………….. 7

1.5.2 Les systèmes satellitaires ……………………………………………………………………………… 7

1.5.3 AIRBUS vs BOEING…………………………………………………………………………………… 7

2 Le grand tournant …………………………………………………………………………………………………….. 8

2.1 Le système économique, nouveau maître ……………………………………………………………… 8

2.2 Ariane bien dans le marché …………………………………………………………………………………. 8

2.3 Les systèmes satellite – L’exemple GALILEO………………………………………………………. 8

2.3.1 Une décision politique unanime…………………………………………………………………….. 9

2.3.2 Une organisation complexe…………………………………………………………………………… 9

2.3.2.1. Le GJU et la concession ………………………………………………………………………… 9

2.3.2.2 GALILEO et le partenariat transatlantique ……………………………………………… 10

2.3.2.4 Financement, théorie et pratique ……………………………………………………………. 11

2.3.2.5 Une pincée d’optimisme……………………………………………………………………….. 12

2.3.2.6 GALILEO PLOMBE ?…………………………………………………………………………. 12

2.4 L’aéronautique, EADS et AIRBUS ……………………………………………………………………. 12

2.4.1 Pourquoi EADS ? ………………………………………………………………………………………. 12

2.4.2 Les malheurs d’EADS………………………………………………………………………………… 13

2.4.3. Les malheurs d’AIRBUS …………………………………………………………………………… 14

2.4.3.1 La concurrence ……………………………………………………………………………………. 14

2.4.3.2 Le prix du dollar………………………………………………………………………………….. 15

2.4.3.3 Gouvernance et cafouillages …………………………………………………………………. 16

3 L’aéronautique et l’espace plombés ? ……………………………………………………………………….. 16

1

  1. Trois destinsparallèles

  1. Avant propos

L’aventure de l’aéronautique et de l’espace a d’abord été celle des pionniers, relevant le défi du rêve d’Icare sur leurs drôles de machines.

La première guerre mondiale a marqué une étape de développement : L’industrie de l’aviation, qui employait environ 2000 personnes répartis dans une vingtaine d’entreprises en 1914 comptera 168 000 employés en fin 19181

La seconde guerre mondiale amènera le développement accéléré de l’industrie aéronautique mais aussi la naissance du concept de VATB (véhicule autopropulsé à trajectoire balistique) avec les bombes volantes V1 et V2 développées et malheureusement expérimentées à grande échelle par l’armée Allemande. Ce sont les précurseurs des véhicules extra-atmosphériques et plus tard des lanceurs de satellites.

Plus tard seulement, à partir des années 60, se développeront les satellites et les systèmes d’application mettant à disposition de l’ensemble de la planète des outils universels qui s’imposent désormais dans bien des organisations humaines sans qu’on en ait toujours conscience.

Nous allons suivre le devenir de ces secteurs industriels dans l’environnement économique d’aujourd’hui où une nouvelle forme de libéralisme économique a pris le sur des conceptions plus … Keynésiennes.

Avant d’aborder de front le sujet, il nous faut cependant analyser brièvement la période de 1945 aux années 80 dans laquelle l’aéronautique, le spatial et ses applications satellitaires en Europe ont du se développer dans une Europe en construction et lutter pour exister face à l’impérialisme économique américain et dans un contexte de guerre froide qui a pris fin avec la chute du mur de Berlin.

  1. L’envol aéronautique

La période de 1945 à 1957 marquera la conception modulaire des avions, cellule, moteurs et équipements et la naissance de l’idée des coopérations internationales.

On notera l’aventure inachevée du Concorde, coopération franco-britannique, lancée en 1967, réussite technologique autant qu’échec commercial, en raison de l’embargo étasunien sur la quasi-totalité des aéroports du continent Nord Américain.

En 1967, l’idée est dans l’air du lancement d’un avion européen de transport de grosse capacité et de la création d’un outil industriel européen pouvant faire face à l’insolente domination de l’industrie étasunienne.

Les contacts sont concrétisés en 1970 par un accord Franco-Allemand et la création d’un consortium Airbus Industrie entre Sud-Aviation2 et Deutsche Airbus. C’était une affaire d’états : Les autorités publiques Françaises et Allemande ont fait forte pression sur les industriels pour qu’ils unissent leurs forces. Les industriels Britanniques ayant refusé de s’engager dans le consortium, les deux gouvernements ont même accepté de dépenser de l’argent Français et Allemand pour financer les voilures à Hawker Siddeley, le plus compétent dans le domaine.

Fokker deviendra partenaire privilégié peu après et l’espagnol CASA deviendra membre du consortium en 1971. La Grande Bretagne finira par rejoindre le consortium en 1978, par British Aerospace, au moment ou sortait la version A310, la famille Airbus bénéficiant d’un succès commercial confirmé.

  1. DuV2 à Ariane

  1. Premiers pas vers l’espace

Pendant la 2ème guerre mondiale, les alliés ont appris à leurs dépends l’importance stratégique des fusées auto-propulsée allemandes sur des trajectoires pré-programmées.

1945 marque la naissance de la course à l’espace dans de nombreux pays dont la France.

La France dès 1946 installe à Vernon au cœur du Vexin3 le « Laboratoire de recherches Balistiques et Aérodynamiques » , établissement d’état de la Défense Nationale, chargé de développer des véhicules intra et extra atmosphériques pour les besoins des armées et du monde scientifique.

Jusqu’en 1958, les recherches et réalisations seront essentiellement centrées sur le développement de la fusée sonde « Véronique » pour l’étude de la haute atmosphère5, et de sa version renforcée Vesta qui sera abandonnée dès la mise en chantier du projet Diamant.

En effet, au début des années 60 les ambitions et les orientations de la politique spatiale nationale changent : Le 4 octobre 1957, les premiers bip-bip du Spoutnik soviétique ont résonnés autour de la planète, suivis le 31 janvier suivant par le premier satellite explorer américain.

Le gouvernement Français décide que la France doit être la 3ème puissance spatiale du monde et l’établissement Vernonnais est chargé de cette mission. Mission réussie le 26 novembre 1965 avec un satellite baptisé « zébulon »6 mais comptabilisée le 17 février 1966 lors du lancement du 2ème Diamant 1A portant un satellite rebaptisé « Astérix ».

L’histoire vaut d’être contée :

  1. Collaboration et échec

La France n’est pas le seul pays européen à s’inquiéter du développement de moyens spatiaux Nord Américains, dont on commence à entrevoir les perspectives, et de moyens spatiaux soviétiques. Les soviétiques font peur (on est toujours en pleine guerre froide) et les USA ne cachent pas leur intention de contrôler strictement les applications commerciales et bien entendu militaires des charges utiles qu’ils accepteraient de mettre sur orbite avec leurs lanceurs DELTA.

L’organisation ELDO (European Launcher Development Organization) prend naissance à Londres en 1962. Six pays européens y participent avec comme membre associé l’Australie qui fournit le champ de tir proche de l’équateur. Ces pays fondateurs décideront ensemble de la réalisation d’un lanceur de satellites européen. Le premier étage du projet Europa est Anglais, le second Français, le troisième Allemand, la case à équipements espagnole, la Belgique et les pays bas ont la charge des télécommandes et télémesures, l’Italie réalisant les satellites expérimentaux et de qualification.

Le programme est un échec complet : 11 tirs, 11 échecs et le 12ème et dernier exemplaire construit est en exposition dans un musée à Kourou. Le programme a été abandonné par le conseil de l’ELDO le 27 avril 1973. C’est la condamnation sans appel d’une insuffisance de maîtrise d’œuvre, dans un contexte politique fortement marqué par les différences nationales.

Cet échec allait avoir des conséquences directes sur le développement de l’industrie spatiale en Europe.

  1. L’envolée d’Ariane

  1. Renaissance

Après l’échec cuisant du lanceur Europa, à partir de 1973, bien peu parieraient très gros sur la résurrection de l’industrie spatiale européenne.

Pourtant dès 1972, alors que l’échec d’Europa est certain mais pas encore officiel, la France a ouvert et proposé un dossier/projet très provisoire nommé L 3 S ( Ou Lanceur 3 étages de Substitution. Cette appellation un peu péjorative décrivait bien l’atmosphère désespérée régnant sur le milieu spatial européen à la fin des années 70. On l’abandonna pour la dénomination plus sexy d’Ariane après les premiers essais positifs) . La France financera seule le projet dans un premier temps. Il réutilisera le 3ème étage d’Europa 3 (allemand), et des techniques développées dans le lanceur Diamant et même … dans les V2 allemandes de la guerre grâce à Ernst Bringer, ancien de Pennemunde qui concevra les moteur à turbopompes des 1er et 2ème étages : les moteurs Vexin.

La proposition de la France de financer à 60% le nouveau programme jusqu’à sa qualification emportera la décision de transformer ce programme expérimental en un véritable projet opérationnel européen : Il repose sur une structure opérationnelle dans laquelle la maîtrise d’ouvrage est assurée par le CNES et la maîtrise d’oeuvre par l’Aérospatiale, toutes les entreprises européennes participantes étant placées sous l’autorité technique de cette dernière. Le résultat sera la qualification en vol du lanceur Europa IA en 1979, prélude à une phase commerciale dont le développement, à travers plus de 150 lancements et 250 satellites mis en orbite ne s’est pas démenti 38 ans plus tard.

1.3.3.2 Réorganisation

Dès 1971, sur décision de Michel Debré, alors Ministre des Armées du Général de Gaulle, le LRBA est partiellement privatisé, sa partie industrielle liée aux lanceurs passe sous le contrôle de la SNECMA , prélude à d’autres regroupements, ce qui montre que, alors que les résultats techniques étaient loin d’être probant, le marché s’intéressait déjà de très près aux perspectives de l’industrie spatiale.

En 1980 est créée la société Arianespace, de droit privé, dont les actionnaires principaux sont le CNES, Aérospatiale-Matra, Daimler, CASA (intégrés en 1999 dans EADS) SNECMA (désormais dans le groupe SAFRAN) et une dizaine de sociétés européennes danoise, suédoise, italienne, suisse, entre autres. Cette société assure désormais la fabrication l’exploitation et la commercialisation des lanceurs Ariane . Elle a créé avec la société russe Roscomoss une filiale commune STARSEM pour l’exploitation conjointe, pour certaines charges utiles, de la fusée porteuse Russe Soyouz.

Les systèmes spatiaux

    1. Les satellites

La recherche sur les systèmes spatiaux en Europe a commencé bien avant que l’Europe ne soit capable de placer en orbite ses propres satellites, ce que raconte fort bien CAPCOM.ESPACE dans « l’encyclopédie de l’Espace ».

En 1960, dans le cadre du COSPAR, le CERN (Centre Européen de Recherche Nucléaire) propose de créér l’ESRO (European Space Research Organisation). Le protocole créant L’ESRO sera signé en 1964 par 10 des pays européens de l’Europe des 15 avec dans ses cartons deux projets de satellites à caractère scientifique.

l’ESRO sera à l’origine du lancement de sept satellites d’applications diverses jusqu’en 1972, moyen pour la communauté scientifique européenne d’affirmer son existence face à l’écrasante présence étasunienne dans l’espace, mais tous seront placés sur orbite par des moyens nord américains.

En 1964, initialisé par les USA et largement dominé par eux naît Intelsat, un consortium inter- gouvernemental chargé d’organiser l’exploitation commerciale d’un réseau de satellites de télécommunication autour du globe. C’est dans ce contexte que les gouvernements français et allemand décident en commun le développement d’une « grappe » alternative de satellites de télécommunication, réseau nommé Symphonie, ces satellites devant être mis sur orbite par le lanceur Europa. Le CIFAS, consortium franco-allemand composé de Aerospatiale, SAT, Thompson, AEG Telefunken, MBB et Siemens est chargé de la première tranche qui comportera deux satellites avec la mise en œuvre d’une exploitation commerciale expérimentale.

Les retards puis l’échec confirmé du projet Europa conduiront le consortium à négocier une mise en orbite avec les moyens étasuniens, mais les autorités nord américaines y mettent une condition draconienne : La suppression de toute exploitation commerciale.

Le premier satellite symphonie sera lancé par une fusée Thor Delta en 1974, le second un an plus tard, mais l’embargo étasunien sur les liaisons commerciales retardera de 5 ans la mise en place de la première génération européenne de satellites de télécommunications.

A   contrario ,cette attitude impériale renforcera la volonté européenne de réaliser son propre programme de lanceurs.

1.4.2 Le segmentsol

On pourrait imaginer que le lanceur et le satellite lui-même constituent le coût essentiel d’un système spatial.

Ce n’est pas exact : La mise sur orbite d’un système de satellites devant couvrir la totalité du globe (applications télécom, environnement, navigation, etc…) peut coûter plusieurs milliards d’Euros, dont une part sera consacrée à la création des infrastructures au sol et des centres de traitement. Le coût d’exploitation sera de l’ordre de 5 à 10% du prix de lancement chaque année, dépendant de l’application : la durée de vie d’un tel système sera de l’ordre de 15 à 20 ans.

On ne retrouve pas au niveau du segment sol le type de concurrence que l’on rencontre pour les lanceurs ou les satellites : Au contraire, dans ce domaine la coopération est de rigueur : même au temps de la guerre froide les stations américaines et soviétiques coopéraient dans le domaine des mises en orbite de leurs satellites respectifs. La mise en orbite d’un satellite et son maintien à poste mettent en œuvre des stations radars, de détection, d’émission-réception, etc. … de toutes nationalités. C’est un peu comme dans la marine : Il existe une véritable solidarité internationale pour tout ce qui se déplace dans l’espace, habité ou non. Les exceptions sont rares… et sans aucun doute d’ordre militaires mais même dans ce domaine la communication internationale est très développée11

Le segment sol apparaît ainsi comme un ensemble de frais fixes plus ou moins dépendant des techniques spatiales employées, et ceci explique par exemple pourquoi les navettes spatiales réutilisables utilisées par les étasuniens ne sont pas aussi compétitives que leurs promoteurs l’espéraient, ou pourquoi les gains de coûts attendus de certains nouveaux projets12 comportant la récupération et la réutilisation d’éléments du lanceur ne sont pas à tout prendre extrêmement élevés.

11 L’espace n’est pas une zone de non droit : Au moins 5 traités internationaux règlent les limites dans lesquelles certaines technologies peuvent être emportées dans l’espace. Ceci n’empêche pas un certain niveau de méfiance et certains états dont en particulier les USA font parfois état de recherches menées dans le domaine de ce qu’ils appellent le « space control », a titre purement défensif bien entendu.

12 Notamment Ariane VI

6

  1. La situation au début des années 80

Nous pouvons la résumer ainsi : Dans un processus relativement classique des grands projets lancée par les pouvoirs publics dont l’exploitation sera ensuite confiée au secteur privé, Ariane est déjà dans le marché, Airbus est qualifié et sa structure de développement privé européenne reste à consolider, les systèmes satellitaires européens sont encore au stade de la conception.

  1. Ariane sur le marché deslanceurs

Une fois l’essentiel des investissements de base financé par les états, c’est l’industrie européenne qui gère la production et l’exploitation sur un marché de plus en plus ouvert. Sur ce marché apparaissent chaque année de nouveaux opérateurs (Chine, Japon, Brésil …) en capacité d’assurer leurs propres lancements, et bientôt d’entrer dans la concurrence.

On peut qualifier la création d’Arianespace comme une réussite commerciale dans la mesure ou sa structure financière est solide, appuyée sur le géant EADS et l’entreprise nationale française CNES, dans un marché en pleine expansion dont les clients sont pour l’essentiel des clients publics ou des groupes financiers importants qui lui assurent un plan de charge pour plusieurs années.

  1. Les systèmes satellitaires

Dans le domaine des satellites, et plus généralement des systèmes d’exploitation satellitaires, la situation est beaucoup plus contrastée : Certaines applications sont déjà dans le champ de la concurrence et c’est notamment le cas pour les systèmes de télécommunication intercontinentaux, ou le satellite se place avantageusement au niveau du prix de revient devant le câble transatlantique ou les connections intercontinentales au sol. Télécommunications et couverture mondiale télévisuelle sont non seulement des enjeux politiques et culturels, ils sont surtout de fantastiques enjeux commerciaux où les clients sont des conglomérats financiers transnationaux.

La situation est différente pour d’autres applications des techniques spatiales qui comportent des volets commercialisables et d’autres de services publics. C’est le cas des applications météo, environnementales et des applications liées à l’observation de la terre. Nous en verrons un cas particulier en deuxième partie. Pour ces applications, l’intérêt commercial ou le retour sur investissement ne sont pas suffisant pour mobiliser spontanément le marché : Le développement d’un système dépend d’abord d’une décision politique … et d’un financement public, ce qui peut poser des problèmes délicats de gestion comme de financement.

Il y a enfin le cas malgré tout relativement marginal en terme d’incidence économique des applications scientifiques qui ressortent de la recherche fondamentale et de la connaissance de l’univers, qui se mènent le plus souvent en coopération internationale, sur des critères politico

– scientifiques dans lesquels entrent évidemment le prestige des nations … et des chercheurs !

1.5.3 AIRBUS vs BOEING

Dans le domaine aéronautique, avec Airbus, l’Europe dispose désormais des moyens industriels de faire face à l’impérialisme américain dans ce secteur. Par le jeu des concentrations qui sont l’essence même du jeu capitaliste, AIRBUS appuyé sur la structure EADS n’a pratiquement qu’un seul concurrent dans le monde : Boeing. Au moment dont nous parlons, au début des années 1980, les deux géants de l’aéronautique se partagent l’essentiel du marché des gros et moyens porteurs avec un certain avantage à Airbus pour la qualité technique et commerciale de sa famille A300 et A 310.

L’A310 sera en fait commercialisé en 1984, et il a une particularité qui le place alors très en avance sur ses concurrents américains : Pour la première fois au monde, l’assistance

7

électronique est largement utilisée dans un appareil civil au niveau des commandes comme des instruments de vol. Ces avancées technologiques seront reprises dans les modèles suivants de la série A 3XX, et – dégât collatéral ! – elles ont ouvert un débat aux allures de conflit avec le personnel navigant sur la réduction possible de l’équipage embarqué.

  1. Le grand tournant : Lesystèmeéconomique,nouveau maître

….. Nous sommes dans le dernier quart du vingtième siècle, les fondements de la doctrine keynésienne ont été détruits par le jeu de la mondialisation de la finance. L’Union européenne inscrit la nouvelle doxa libérale dans tous ses textes législatifs et plus que jamais dans le dernier « traité modificatif » qu’elle s’apprête à faire ratifier par ses états membres par la voie parlementaire : Les états membres ne sont pas autorisés à subventionner des industriels , ni à soutenir une industrie régionale même en difficulté, au nom de la libre concurrence. L’UE n’a inclus dans ses lignes budgétaires aucune ligne permettant de lancer des projets d’utilité publique. Les ententes entre deux états membres pour un projet commun lui sont interdites par ses propres textes sans l’accord de tous les états : En quelques sortes, l’Europe s’interdit d’intervenir dans sa propre politique économique, laissant au marché et aux compagnies transnationales qui l’organisent le soin de décider à sa place.

La volonté politique n’a pas pour autant totalement disparue : les intérêts territoriaux, nationaux, politiques ou idéologiques, parfois conflictuels continuent d’exister, mais les états dans leur recherche de solutions doivent désormais passer sous les fourches caudines d’un système international dont ils ont accepté et mis en place les règles.

Nous allons en voir les conséquences  au travers du devenir de chacun des 3 domaines industriels et innovants dont nous avons suivi jusqu’ici une évolution parallèle.

  1. Ariane bien dans le marché

Pour le lanceur européen, les choses vont plutôt bien dans le meilleur des mondes concurrentiels : Malgré la présence de plusieurs concurrents en mesure de faire des offres commerciales (américains, russes, japonais, chinois et brésiliens entre autres) et au moins 3 autres en devenir, la famille de lanceurs Ariane tient le haut du marché à un prix compétitif ce qui n’est pas sans poser de problèmes aux entreprises participantes soumises à une pression implacable sur les prix de revient avec une exigence qualité qui est l’une des conditions sine qua non du maintien de sa position aujourd’hui au top.

Cette condition a freiné jusqu’à ce jour les tentations d’externalisations et autres délocalisations mais des projets de déplacement de travaux en Russie dans le cadre de STARSEM font craindre des baisses de charge à terme à la SNECMA Vernon dans l’entreprise mère du projet.

C’est le sort commun de bien des entreprises et l’on ne peut pas dire que l’activité lanceurs européens soit réellement affectée par la nouvelle donne économique. Ariane a occupé son créneau juste à temps, et bénéficie d’un nombre important de clients publics ou privés qui assurent la pérennité de son plan de charge.

  1. Les systèmes satelliteL’exemple GALILEO

L’exemple galiléo est très fort, c’est pourquoi il a été choisi pour la démonstration : Il est typique en tant que système comportant des segments commercialisables et d’autres à

caractère de services publics. Par ailleurs, le segment sol associé posera des problèmes de gestion et de retour sur investissements difficiles à résoudre dans le contexte économique et politique de la fin du siècle.

Comme GPS, GALILEO repose sur les techniques développées de localisation globale :

  • la localisation globale possible de n’importe quel objet – ou personnage à la surface du globe s’est révélé d’une telle évidence pratique que la plupart des activités humaines basées sur le déplacement : Aérien, maritime, terrestre, se sont spontanément alignées sur cette possibilité, que les étasuniens ont ouvert avec leur système GPS.
  • A l’exception des Russes qui ont le système GLONASS, partiellement opérationnel, et les chinois qui ont mis en chantier sur orbite le système BEIDOU en essai au dessus du territoire chinois, seule l’armée américaine avait à partir de 1995 un système mondialement opérationnel mis à disposition du public à partir de 2000, la gestion du système restant néanmoins sous la responsabilité de l’armée américaine, et soumise à ses impératifs stratégiques.
  • Depuis ce moment, tout ce qui vole, roule ou flotte utilise GPS et de nombreuses applications, d’ordre privé ou public ont été développés à partir de ce service.
  • En l’absence d’alternative, les états unis d’Amérique, tout en offrant un service considérable au reste de l’humanité se sont offert sur tout ce qui bouge un pouvoir sans partage incompatible avec les indépendances nationales.

  1. Une décision politique unanime

L’idée est dans l’air depuis que les USA ont lancé le programme GPS, mais c’est en 1995 que mandatée par le Conseil Européen la commission européenne a pris la décision de la réalisation d’un système alternatif baptisé GALILEO.

La décision est politique, et l’unanimité assez facilement acquise dans l’Europe des 15 de l’époque : l’expérience des lanceurs et de l’aéronautique a montré les limites de la dépendance aux USA dans des secteurs aussi stratégiques.

Il n’y a aucun désaccord de fond sur cette décision entre européens : Une phase de définition est lancée en 2000 dans le cadre de l’ESA qui devra assurer la maîtrise d’ouvrage du projet conjointement avec la Commission Européenne. ESA et la Commission doivent conjointement définir les moyens de financement.

Alors que l’ESA lance des études préliminaires pour établir la faisabilité du système, avec deux satellites expérimentaux GIOVE A et B13, une incroyable usine à gaz va se mettre en place et aussitôt bloquer pour la réalisation du programme et sa gestion en exploitation. A la fin 2007, le retard du programme sur les prévisions est de l’ordre de cinq ans sur les prévisions, imputables aux pressions politiques américaines, à la complexité de l’organisation industrielle et aux incohérences d’une politique européenne écartelée entre ses choix libéraux et ses intérêts stratégiques.

  1. Une organisation complexe

  1. Le GJU et la concession

La commission Européenne et l’ESA ont créé en Juillet 2003 le Galileo Joint Undertaking.

13 GIOVE A a été lancé en début 2006 par un lanceur Russe à Baîkonour, GIOVE B devrait être lancé prochainement, toujours à Baîkonour

9

La vérité conduit à dire que si le GJU a décidé en Juin 2005 d’accorder la concession du développement aux deux consortiums14 qui après s’être battus l’un contre l’autre ont fini par présenter une offre conjointe, ce n’était pas la fin de l’histoire et nous verrons au § suivant que le problème des retours industriels reste une des pierres d’achoppement de la finalisation du projet.

C’est finalement la Commission Européenne, et plus particulièrement le commissaire aux transports chargé de ce dossier qui a dû gérer directement l’interface politique et financier tandis que l’ESA mettait tous ses efforts pour terminer d’urgence la phase de faisabilité afin de pouvoir confirmer la réservation des fréquences nécessaires auprès de la Conférence Internationale des Télécommunications, qui pourrait bien retirer au projet une concession difficilement acquise.

En définitive, les deux consortiums cités plus haut et conjointement retenus ont fusionnés et constituent désormais la « European Satellite Navigation Industries » (ESNI) dont le siège est à Bruxelles. Elle doit assurer le développement du système et au-delà son exploitation.

Pour autant, chacune des entreprises composantes réclame une part de responsabilités en rapport avec son investissement et un juste retour sur l’argent public que l’Union doit mettre dans l’affaire.

  1. GALILEO et le partenariat transatlantique

Les USA se sont longtemps opposé au développement d’un système concurrent du leur, avec 2 types d’arguments avoués et un caché :

  1. L’argument sécuritaire : Empêcher que des tiers, pays ou organisations terroristes ne se servent de Galiléo pour des attaques de missiles guidés : Le contrôle de GPS par les militaires américains met d’après eux le monde à l’abri de ce risque.
  2. La crainte d’éventuels problèmes d’interférence avec leur système GPS

L’argument inavouable est bien entendu cette volonté européenne d’indépendance, incompatible pour eux avec le principe d’un PET (Partenariat Economique transatlantique) destiné à instaurer à terme un marché unique et libéré de part et d’autre de l’atlantique.

Les discutions, pour ne pas parler de disputes se sont menées dans le cadre du PET et ont fait l’objet de très peu de publicité.

Nous avions cependant signalé, il y a quelques mois et précisément dans le cadre d’un débat sur le PET un accord signé le 26 juin 2004 au sommet Irlandais EU-US concernant Galileo.

Cet accord n’a pas été publié. Certains observateurs pensent qu’y sont incluses des clauses de compatibilité entre les deux systèmes (interopérabilité) mais aussi des clauses applicables en cas de crise et la possibilité de maintenir des signaux dédiés aux services publics européens même si pour des raisons de sécurité certains signaux « ouverts » devaient être suspendus. Les utilisations militaires ont sans doute aussi été discutées. Ce qui est certain, c’est que dans le cadre de ces bonnes relations transatlantiques des contraintes techniques ont été discutées et acceptées sur l’utilisation de Galileo.

14 iNavsat composé de EADS, Thales et Immarsat d’une part, Eurely composéde Alcatel, Finmeccanica, AENA et Hispasat d’autre part

2.3.2.4 Financement, théorie et pratique

Nous avons l’exemple parfait de ce que l’Europe, dans son langage appelle « Un Service d’ntérêt économique Général (SIEG) c’est-à-dire une entreprise privée qui exercera aussi des fonctions d’intérêt général que l’ESA moins prude que la commission dans sa définition technique n’hésite pas à appeler des fonctions de service public15.

L’investissement prévu pour le programme est de l’ordre de 3,5 milliards d’Euros, segment satellite et segment sol compris, et les frais d’exploitation annuels un peu inférieurs à 250 millions d’Euros.

Le financement avait donc été prévu avec des fonds publics et privés, la partie publique soit 1/3 assurée par L’Union Européenne et par l’ESA, 2/3 par le consortium privé titulaire de la concession d’exploitation.

De fait, les actionnaires privés se sont montrés peu enclins à participer aux investissements, considérant les risques importants et le retour sur investissement trop étalé dans le temps. La doctrine européenne suivant laquelle la subvention ou l’aide directe aux entreprises est interdite donne aux états de l’UE une raison pour éviter d’intervenir, sinon pour exiger avec vigueur un retour industriel à la mesure de leurs besoins d’emplois et d’activités. En y ajoutant une pression américaine toujours présente bien que discrète, en particulier par l’intermédiaire de quelques états comme le Royaume Uni plus proche des USA qu’européen dans ce contexte, il y avait là tous les ingrédients d’un cafouillage qui durera des années.

On a finalement la surprise d’apprendre16 que le Commissaire aux transports Jacques Barrot plaide avec force « le financement complet des 30 satellites et des infrastructures sol par le budget européen », les industriels ne payant leur quote part qu’à l’occasion de l’exploitation qui leur assurerait un retour immédiat sur les redevances.

L’objectif affiché est d’un déploiement complet du système en 2012 : Le budget européen assumerait un coût public de 3,3 milliards d’Euro (chiffre officiel) jusqu’en 2013, les 4,4 milliards de frais d’exploitation (sur 20 ans) étant ensuite supportés par les usagers publics et privés et gérés par l’exploitant.

Le problème est que le budget Européen ne dispose d’aucun budget pour une telle dépense : Depuis Jacques Delors et cela fait longtemps, il ne s’est pas trouvé un commissaire européen pour suggérer qu’on finance de grands travaux sur fonds publics et la ligne budgétaire n’existe pas.

Nous avons donc vu, chose encore plus étonnante, quand on connaît l’orthodoxie libérale de la commission, cette dernière proposer de financer le projet … sur des crédits non utilisés de la PAC !! Ceci a bien entendu relancé la discussion entre états sur le retour industriel assuré à chacun, pour obtenir un accord à la majorité qualifiée et aucun bloquage de la part des opposants.

De fait, les autorités allemandes vont d’abord refuser le proposition consistant, pour l’UE, a financer directement les travaux de mise en place du projet, sur la base d’appels d’offre comme le veut le règlement de l’Union. L’Allemagne craint tout simplement que les entreprises allemandes, moins puissantes qu’EADS ou Thalès Alenia Space (Thalès allié à Alenia Spazio) ne se fassent damer le pion.

Il faudra trouver un compromis qui permette à chacun d’avoir sa part de gâteau17.

Aux dernières nouvelles (très récentes) un accord de principe a donc été trouvé, mais on est encore loin de la sortie de crise, même si l’on peut se féliciter officiellement que le projet soit sauvé.

Il reste encore l’étape des appels d’offre, que le compromis trouvé ne va peut-être pas pacifier totalement. Techniquement, on a pris énormément de retard et rien ne dit que d’ici là les chinois n’auront pas consolidé leur propre technologie et ne seront pas plus présents sur le marché qu’on ne le pense aujourd’hui.

Les USA préparent activement une nouvelle version de GPS plus moderne et performante.

2.3.2.5 Une pincée d’optimisme

Il y a malgré tout de nombreux pays intéressés par un système de navigation qui ne soit pas inféodé aux USA et cela s’est traduit par de nombreuses propositions ou demandes de participation au projet, même si la somme de tout est loin d’assurer un financement alternatif.

5 pays ont déjà signé des accords de participation18 et 9 mèneraient des discussions actuellement en cours avec le GJU19

2.3.2.6 GALILEO PLOMBE ?

On peut le dire, même si en l’occurrence plombé ne veut pas dire coulé.

La preuve est faite, s’il en était besoin, que la loi du marché mère de tous les progrès est un outil singulièrement pesant quant il s’agit de conduire un projet collectif sans profits à court terme.

  1. L’aéronautique,EADS et AIRBUS

L’évolution du secteur aéronautique en Europe s’accomplit désormais dans un contexte qui fait la part belle aux acteurs économiques.

Nous venons de voir les effets de ce comportement sur la création d’un projet d’intérêt général en Europe, nous allons maintenant en constater l’influence sur une industrie qui avait atteint une certaine maturité, dépassant même un moment l’industrie concurrente américaine sur le marché des gros porteurs.

  1. Pourquoi EADS?

Airbus, rappelons-le, a été créé sur un GIE ayant comme but exclusif de coordonner les efforts de l’industrie franco-allemande, sur une entente inter-gouvernementale dans un domaine stratégique.

Comme dans le cas d’Ariane, qui s’est développée dans ce même contexte, la volonté politique a payé et le résultat technique et commercial l’a justifié dix ans après.

17 Le principe en est le suivant : Galileo est morcelé en six lots, aucun groupe ne peut avoir plus de deux lots, et tout bénéficiaire d’un lot doit en rétrocéder 40% en sous-traitance. Ce compromis, après avoir été rejeté par la partie allemande, est finalement adopté.

18 Chine, Inde,Israel,Maroc, Ukraine

19 Australie, Brésil, Argentine, Norvège,Mexique, Canada, Chili, Malaisie, Corée du Sud

12

La volonté politique n’était pas seule en cause : Toute la phase de développement de l’A 300 et un peu plus tard de l’A 310 a été très largement financée par les états, limitant ainsi dans de larges mesures le risque industriel, et une application vertueuse du « principe du juste retour » industriel dans chacun des pays participants a été permise par une architecture projet harmonieuse basée sur une véritable stratégie de coopération.

Certains dont Elie Cohen20, estiment que EADS, regroupement plus large réunissant des entreprises de tout le secteur aéronautique, spatial et militaire européen, et devenant à sa création en 2001 propriétaire à 80% de SA. AIRBUS est un exemple de l’interventionnisme étatique français comme allemand, avec une part de bricolage actionnarial.

C’est en fait le contraire qui s’est passé : Ce sont les industriels qui ont mené le jeu, en s’appuyant sur le cadre libéral de l’UE, et réaligné les objectifs sur les intérêts actionariaux, nettement plus opportunistes que les orientations données par les gouvernements au projet dans la décade précédente.

On donnera néanmoins à Elie Cohen crédit de son appréciation concernant le bricolage actionnarial :

Récemment, Jacques Julliard rappelait dans le « Nouvel Observateur » qu’en 1999 Lagardère (le père) avait apporté dans la corbeille d’EADS des actifs d’une valeur de 5 à 10 milliards de francs pour recevoir 15% du capital, l’autre partenaire français principal étant l’état qui apportait de 80 à 160 milliards de francs de participations diverses dans des sociétés nationales pour recevoir aussi 15% de capital, mais en étant privé de droit de vote (pour ne pas intervenir, en tant qu’état, dans la gestion d’une entreprise privée).

Dans le même temps, le partenaire allemand Daimler-Christler apportait à lui tout seul 30% du capital constitutif mais un peu plus tard devait en revendre 7.5% pour causes de difficultés dans sa branche automobile, ce qui conduisait Lagardère par souci d’équilibre industriel à revendre (à la caisse des dépôts, pour le compte de l’état français !) 7.5% de ses parts. L’état français se retrouvait ainsi face à Daimler actionnaire majoritaire … mais toujours privé de droit de vote.

7 ans plus tard, le fils Lagardère vendait à la caisse des dépôts de nouvelles parts de son capital juste avant que leur valeur ne baisse à l’insu de son plein gré après avoir beaucoup monté, à l’annonce de retards sur l’A380 que, bien sur, tout le monde ignorait .

En fait, la création d’EADS avait pour but de réaliser un groupe industriel européen englobant l’aéronautique, le spatial et la branche militaire, un peu sur le même modèle que Boeing, pour en renforcer la cohérence et l’efficacité, en application des bonnes règles de gouvernance économique qui sont l’alfa et l’oméga de la doctrine européenne. Bien vu.

2.4.2 Les malheurs d’EADS

Nous en parlerons peu, c’est un peu hors sujet, mais il était difficile d’aborder les problèmes d’Airbus sans évoquer son environnement et la nature de ses actionnaires.

Disons que le but annoncé de la création de EADS n’a pas été atteint : La cote en bourse de EADS continue à monter ou à descendre au rythme des prises de commandes d’Airbus 380 ou 350, ce qui montre à l’évidence que l’équilibre n’existe pas dans EADS comme il peut exister chez Boeing. Les spécialistes expliquent que le secteur militaire de EADS est insuffisant et qu’un secteur militaire puissant est nécessaire pour permettre de gérer les fluctuations cycliques que l’on ne peut empêcher dans l’avionique civile. Une tentative de fusion avec Thalès a récemment échouée.

20 Parlant en 2006 dans le cadre de Telos (Telos-eu.com), un think thank d’économistes à la française, fanatiquement pro européen et autoproclamé réformiste.

13

C’est une manière de dire, une évidence que nul n’ignore, que dans un système libéral ou l’interventionnisme de l’état est proscrit, sauf dans ses fonctions régaliennes, une forte activité militaire est un excellent moyen d’apporter une régulation et un maintien du marché, une fonction qui, dans une approche plus keynésienne, pouvait être assurée par l’aménagement du territoire et les services publics.

Voilà qui donne un éclairage inattendu au protocole n°9 annexé au traité modificatif européen qui donne pour règle aux états membres de renforcer leurs moyens militaires.

  1. Lesmalheursd’AIRBUS

La concurrence avec Boeing a changé de nature : ou il y avait concurrence sur le produit, (Airbus vendait plus d’avions que Boeing), la concurrence s’est déplacée sur le plan des profits, d’où un plan POWER 8 d’externalisations, de délocalisations, de fermetures d’usines de production et de suppressions d’emploi que nous allons regarder de plus près. D’autres élément interviennent : concurrence, dollar, prix de l’énergie, dissensions inter- gouvernementales, fuite annoncée des actionnaires dans quelles mesures ces problèmes sont-ils réels et dans quelle mesure sont-ils liés à la gestion de l’entreprise ? Dans quelle mesure plombent-ils l’aéronautique ?

Essayons d’y voir clair.

  1. La concurrence

Entre Airbus et Boeing, c’est la guerre de la com et c’est à qui fera état des commandes les plus extraordinaires pour faire plaisir à ses actionnaires. Bien malin qui pourra dire qui occupe aujourd’hui et occupera encore dans 6 mois le top du hit parade des ventes d’avions. L’un et l’autre tiennent bien le marché et l’ouverture de la circulation aérienne transatlantique (Open Sky) comme le développement du marché des pays émergents devraient pour pas mal de temps encore pousser ce marché au développement, avant que le principe de réalité de sauvegarde le la planète n’amènent à modifier significativement nos modes de vie et de déplacements.

De manière très claire, ce n’est pas cette concurrence là qui met aujourd’hui l’une ou l’autre des deux entreprises en péril, et ce n’est pas elle qui explique POWER 8 ou les discours actuels sur la nécessité d’aller fabriquer en zone dollar.

Par contre, dans une économie ouverte comme elle l’est aujourd’hui, il serait inconcevable que, de deux entreprises concurrentes, l’une se prive volontairement d’avantages dont bénéficierait l’autre, qu’il s’agisse de limiter les salaires, de s’abstraire de droits sociaux coûteux ou de contourner d’autres contraintes dévoreuses de profits financiers.

C’est donc une nouvelle forme de concurrence qui s’instaure entre les actionnaires s’intéressant au secteur aéronautique, sur le retour sur investissement et elle se traduit par tous les artifices désormais classiques dans la recherche de profit : externalisation des fabrications et parfois même de la conception, recours massif à la sous-traitance, délocalisations, précarisation des emplois.

Cet effet est particulièrement renforcé dans le secteur aéronautique par une caractéristique qui pourtant a été à l’origine de la réussite technique du développement de l’A0300 : La conception modulaire des avions modernes qui a permis une répartition plus efficace des tâches et des retours industriels, à une époque ou une volonté politique fédérait le projet.

Cette conception modulaire, à défaut de reposer sur un consensus sous contrôle favorise l’externalisation. La pression sur les effectifs se traduit en pertes d’emplois et en problèmes sociaux qui réveille des réflexes nationalistes : Il est plus facile de se mettre d’accord sur des retours industriels amenant de l’emploi que sur des dégraissages qui en suppriment. Les états ayant réalisé l’essentiel des investissements de base sont désormais dans l’obligation de

14

laisser aux acteurs privés la direction des opérations tout en en subissant les conséquences en termes de politique sociale. Les « barons pillards » comme les appelle Jacques Julliard sont maitres du jeu et l’entreprise n’en sort pas grandie.

Cette déstructuration du projet Airbus n’a pas des effets seulement sur les résultats financiers de l’entreprise : On peut être surpris de voir les syndicats mettre en cause dans l’explication des retards de l’A0380 des problèmes triviaux comme l’incompatibilité de certains logiciels ou des différences de structures d’entreprises, alors que les entreprises désormais intégrées dans EADS sont celles dont on constatait avec une heureuse surprise la parfaite coopération au lancement de l’A0300.

Les problèmes rencontrés à Airbus sur les produits composites, ou sur certains problèmes de logiciels bord, qui sont des types de problème que Boeing a rencontré aussi dans un passé récent ne sont pas seuls en cause : Ces difficultés d’ordre technologique sont monnaie courante dans le milieu aéronautique. Il faut plutôt voir dans certaines fausses notes techniques le résultat d’une précarisation des équipes et des unités de travail et d’une inquiétude qui monte dans le milieu des salariés menacés.

2.4.3.2 Le prix du dollar

Le 4 décembre dernier, Louis Gallois déclarait : « L’Euro fort oblige Airbus à produire hors d’Europe ». Dans quelle mesure cette affirmation est-elle justifiée ?

Bien sur, cela fait bien longtemps que des petits malins out pensé ouvrir des usines en Asie, ou la main d’œuvre n’est pas chère et le droit du travail inexistant, pour produire à bas coût des objets que les consommateurs occidentaux achèteront cher par rapport au prix de revient tout en ayant l’impression de faire une affaire. Pourtant, même si l’argument est souvent utilisé pour faire pression, voire mener un chantage sur les salariés occidentaux la délocalisation reste d’après les économistes un phénomène marginal et en tout cas peu utilisé comme instrument spéculatif face à l’évolution des monnaies.

C’est particulièrement vrai dans le secteur aéronautique ou les normes qualité requises et la standardisation des procédures impose une sous-traitance stable et de qualité. Il y a bien des délocalisations dans des pays de la zone dollar ou la zone Yuan envisagées par la direction d’Airbus, mais elles sont beaucoup plus liées à des impératifs commerciaux (sous forme de retours industriels ou technologiques exigés par les clients) qu’a la valeur du dollar ou du Yuan21.

L’influence réelle de la valeur comparative Euro/Dollar va dépendre de ou on fabrique (ou achète) et à qui on vend.

Olivier Boulba-Olga22 nous indique qu’un Airbus est constitué de 76% d’éléments européens, de 21% d’éléments étasuniens et de 3% d’éléments venant du reste du monde. En contrepartie, 39% du carnet de commande est livrable en Europe, 28% en Asie, 19% aux USA et 14% dans le reste du monde.

Charles Wiploz23 estime qu’il ne faut pas considérer la vente d’un produit à la seule aune du rapport Euro-dollar : Par rapport à un large panel de monnaies plus ou moins lié au dollar, l’Euro ne s’est apprécié que de 28% depuis son point le plus bas en 2000 et de 10% depuis le début de l’année.

21 Monnaie chinoise

22 http://economistes.blogs.liberation.fr/chiffrage/olivier_boubaolga/index.html

23 http://www.telos-eu.com/fr/article/l_euro_trop_fort_le_debut_de_la_fin

15

Grégoire Biseau, lui, dans « libé » du 5 décembre24 estime que EADS s’est bien protégé contre l’effet dollar en exigeant des fournisseurs y compris français d’accepter un paiement en dollars ce qui fait que 65% des pièces d’un AIRBUS serait payé en dollars.

Vrai, faux ? difficile à dire car la communication d’EADS et d’Airbus est loin d’être transparente sur ce point, mais les démonstrations de Louis Gallois ont toutes les apparences de déclarations d’opportunisme, surtout lorsque Dassault tient le même discours, contesté y compris par Pascal Lamy patron de l’OMC le 4 décembre dernier sur I-télé. Ce dernier remarque précisément que les relations entre monnaies ne peuvent s’apprécier qu’à moyen ou long terme, ce qui interdit qu’on les considère comme des éléments de décision stratégiques commerciales ou industrielles à court terme.

Certains observateurs remarquent avec raison que la parité Euro/Dollar pourrait bien être profondément modifiée par le résultat des prochaines élections américaines si elles amènent l’arrivée des démocrates et que toute décision basée sur les rapports de force monétaires actuels pourrait être dommageable à l’entreprise.

Malheureuse décision, ou gesticulation pour justifier l’extension du plan power 8 et de nouvelles restructurations ? L’avenir le dira.

2.4.3.3 Gouvernance et cafouillages

Les journaux ont bien entendu fait des gorges chaudes sur les vicissitudes des relations directoriales bicéphales franco-allemandes , sur les parachutes dorés et sur le soupçon de délit d’initié qui pèse sur les dernières opérations boursières. Les libéraux expliquent tous ces disfonctionnements par des comportements individuels, certains s’indignant bruyamment tandis que d’autres parlent d’une moralisation nécessaire, en se gardant bien d’en dessiner les contours.

Il serait plus juste d’y voir la conséquence logique d’un « laissez-faire » devenu la doctrine officielle de l’Union et de ses états membres, laissant le champ libre aux conglomérats financiers.

La période actuelle d’incohérence d’un capital encore très public et d’un pouvoir d’entreprise menant une politique actionnariale ne sera pas éternelle.

La volonté affichée par le groupe Lagardère de se désengager, l’ambiguïté du capital sans pouvoir détenu par le gouvernement français font prévoir que, sans doute très prochainement, le tour de table actionnarial va se modifier et que de nouveaux actionnaires vont apparaître.

Au départ de Lagardère, verra-t-on Dassault ou Thalès venir renforcer le secteur militaire de EADS, dans une structure plus proche de celle de Boeing ? Y aura-t-il de nouveaux partenaires ? Extra-européens ? Asiatiques ? Américains ?

Tout devient possible dans l’Europe du marché libre et non faussé.

3 L’aéronautique et l’espace plombés ?

Dans quelles mesures le développement de grands projets d’intérêt général est-il possible dans un cadre de libre marché ?

C’est une question qui vaut d’être posée : Serait-il possible, aujourd’hui en 2007, de lancer un programme européen de la nature et de la taille d’airbus ou même d’Ariane par une décision de deux états de l’Union Européenne choisissant librement les acteurs industriels du

24 http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/295846.FR.php

16

développement sur la base d’un projet et de préférences nationales autant que techniques, en assurant un retour industriel équitable sur des bases nationales ?

A voir ce qui s’est passé et se passe encore pour Galiléo, dont la phase de démarrage a pris plus de 5 ans de retard par l’incapacité de ses promoteurs publics à imposer ses choix aux industriels pressentis, on peut en douter. Encore s’agit-il d’un projet consensuel assez largement européen, mené sous contrôle de la commission et devant bénéficier à tous sans exclusives.

Un projet Franco-allemand conduisant à la réalisation d’un A0300 de développement avec des entreprises choisies par les états et financé sur fonds publics serait aujourd’hui tout simplement illégal dans le contexte européen tel que le fige le traité modificatif en cours de signature .

Nous aurions pu choisir d’autres exemples, et la question va se poser, dans les années à venir, de décisions collectives de protection de l’environnement, ou dans le domaine de l’énergie, mais aussi dans celui des transports, si nous voulons que nos descendants aient une chance de survivre sur cette planète.

La question se pose finalement sous cette forme plus générale :

« Les pouvoirs publics doivent-ils rester responsables, et donc décideurs,des grands projets de l’humanité, dansle cadre de choix démocratiques, quitte à enconfier la réalisationà l’industrie, outoute activité doit-elle être livrée aux seuls choix commerciaux, et aux intérêts égoïstes et partisans des lobbies industriels, le seul critère de choix, nonobstant l’intérêt général, étant le profit à court terme de quelques groupes financiers ».

L’exemple d’Ariane montre qu’il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain : Lorsque le projet est sur les rails, sa pérennité établie, la demande effective et naturelle, l’entrée sur le marché n’est pas forcément la plus mauvaise réponse à la satisfaction d’un besoin global. Lorsque le marché n’est que le champ clos d’affrontements sur la base d’intérêts particuliers et illégitimes, nous venons de voir que c’est la réalisation même du projet qui peut être menacée et son utilité publique remise en cause.

Savoir si l’on peut se passer du marché est un autre débat. Savoir que le marché quand il existe doit être encadré et rester sous le contrôle de la puissance publique est une évidence qu’il est urgent de rappeler et de démontrer, notamment dans les domaines industriels qui engagent l’avenir et la vie des hommes.

-o-o-o-o-o-

17

Annexe 1 : Galileo, Fiche technique

But et composition:Galileo est un système de positionnement par satellite qui permet de déterminer la position d’un objet par rapport à plusieurs satellites de position connue, ou à un opérateur au sol de connaître la position d’un autre opérateur ou d’un objet en mouvement par rapport à la position de plusieurs satellites qui reçoivent de cet opérateur ou objet un signal identifiable.

Le système se compose de 4 éléments principaux :

  • Un segment spatial qui, en opération nominale, comportera 30 satellites sur des orbites. Chacun des satellites sera muni d’une horloge atomique embarquée.
  • Un segment sol de contrôle et maintien à poste des satellites qui comportera 2 ou 3 25 centres de contrôle localisés en Europe ainsi que 5 stations de TT&C (Télécommande, télémesure et contrôle).
  • Un segment sol de mission avec différentes composantes assurant des fonctions essentielles pour la mise en œuvre des applications.
  • Un segment spécifique de test des utilisateurs dédié à la mise en place des applications en environnement réel et à la mise au point des récepteurs ensuite commercialisés.

Associés au système denombreuxsecteursd’applicationseront implantés partout ou nécessaire pour mise à disposition des 5 services prévu.

Les services de GALILEO

a) Les services commerciaux ou particuliers

  • Le service ouvert(OS) : C’est ce qui correspond grosso modo au service GPS de guidage routier ouvert aux particuliers qui achètent la boite magique à installer près de leur volant.
  • Le service commercial(CS) : C’est le service qui doit assurer le retour financier du système, avec des garanties de valeur ajoutée (précision, fiabilité, support technique) contre redevance versée à l’opérateur Galileo. Ce service grand public incluse toutes les opérations de localisation de véhicules, objets ou personnes au sol n’entrant pas dans la catégorie SOL

ci-après et applicable par exemple pour la gestion des flottes de transporteurs autoroutiers. b) Les services à caractère public

  • Le service d esûreté de lavie (SOL) : Service sécurisé intègre et certifiable en vue d’applications critiques sur le plan de la sécurité (notamment transport aérien et maritime, éventuellement terrestre).
  • Leservice  public réglementé(PRS) : Pour les missions de service public très dépendants de la précision, de la fiabilité, etc. … comme les services d’urgence, le transport de matières dangereuses, les secours maritime, etc. … Ce service disposera d’une voie redondante de transmission, de dispositifs anti-brouillage, il sera chiffré et disponible seulement sur des récepteurs autorisés.

  • Le service de recherche et secours (SAR) :Sous la responsabilité de l’OMI (Organisation maritime internationale et de l’OACI (Organisation de l’aviation civile internationale) gère l’ensemble des balises de détresse du parc Cospas-Sarsat conjointement avec GPS.

Les applications militaires ne sont en principe pas prévues, le système étant civil et géré civilement … mais le sujet est toujours en discussion et entrera probablement dans le cadre PRS. Il est plus que probable que les contours en sont tracés dans l’accord UE-US de 2004 toujours en discussion à fin 2007

 

Laisser un commentaire