Le libre échange et les marchés locaux

Le libre échange et les marchés locaux

édité le 28/07/2017

Les accords de libre échange sont des machines de guerre contre les états qui prétendraient relocaliser leur économie et contre les entreprises nationales et locales, grandes ou petites, dont l’activité est au cœur de la vie de nos régions et de notre société.

voici pourquoi …

Dans l’appréciation qu’on a des accords de libre échange. on voit le plus souvent la main invisible des entreprises sur l’autorité des états : c’est l’approche politico-économique qui alimente la plupart de nos chroniques. Plus confusément, on sent bien qu’il y a là une menace pour les petites et moyennes entreprises, celles qui assurent leur chiffre d’affaire, l’emploi de leurs salariés et l’approvisionnement sur les marchés locaux mais on a beaucoup de mal à lutter contre le “rêve américain” qui habite l’esprit de beaucoup de PME persuadées que l’exportation de leurs produits est leur avenir, ce qu’on leur promet implicitement.

L’idée m’est venue d’abandonner pour un moment l’analyse politico-économique pour un raisonnement plus près du terrain.

Intéressons-nous d’abord aux accords dits de “nouvelle génération” entre pays ou régions industrialisés dont les entreprises s’intéressent aux marchés potentiels du pays avec lequel ils négocient. Nous verrons par la suite le cas des accords fortement déséquilibrés Nord-Sud entre pays dominants et dominés sur le plan économique.

D’abord le volet purement commercial : les chiffres, résultant d’estimation sont très incertains. N’ergotons pas : pour le JAFTA (l’accord UE-Japon qui vient de faire l’objet d’un accord politique), les services de l’UE estiment qu’il sera presque à somme nulle, rapportant à l’UE moins de 1% de PIB, mais qu’il augmentera les échanges entre les deux zones commerciales de 34%, au bénéfice des entreprises des deux entités. Pour CETA, les chiffres sont comparables. Par quel miracle ?

La réponse est dans l’histoire des pays qui ont de longue date expérimenté le processus, par exemple sur le continent américain avec l’ALENA (NAFTA) en application depuis vingt ans. Les besoins des populations et de la consommation locale vont peu varier, car les marchés locaux sont déjà partiellement saturés, ce qui explique que globalement, le volume des affaires mesuré dans chaque territoire ou pays en négociation varie peu, au rythme des évolutions mondiales. Par contre, sous la pression des avantages offerts par l’accord, le pourcentage des produits importés augmentera des deux côtés. Il ne peut en être autrement, l’abaissement des barrières douanières, matérielles et administratives donnant à l’importateur des avantages qui modifient les termes de la concurrence dans chaque territoire.

Cet avantage est encore amplifié par les dispositions incluses dans les accords dits « de nouvelle génération » qui veillent à empêcher que les états élèvent de nouvelles barrières à l’échange sous prétexte de protéger leur industrie nationale, leur agriculture ou leur artisanat. Avec la crise environnementale et sociale, les transnationales ont une raison complémentaire de vouloir garder sous contrôle les décisions gouvernementales éventuelles prises dans l’intérêt général.

Ces dispositions ont déjà été largement détaillées dans bien des langues, chacune en soi constituant une bonne raison de lutter contre ces accords, aussi vais-je simplement les citer, mais pour souligner à quel point leur cohérence globale met en danger l’objectif d’une autre mondialisation au bénéfice des peuples et de leur environnement.

Il y a désormais plus ou moins implicitement dans chaque ALE des dispositions pour l’abaissement des normes, la privatisation des organismes normatifs, la suppression progressive des appellations d’origine et le non étiquetage contrôlé des produits, la libéralisation des réseaux financiers, la mise des actes législatifs sous contrôle d’un forum de lobbyiste avant même leur discussion aux parlements, une liberté totale d’entrée des Investissements directs étrangers et des tribunaux arbitraux au service des investisseurs imposant leur loi.

C’est la continuation et la mise en pratique des règles de l’OMC qui, depuis 1995, à l’issue de négociations encadrées par les entreprises multinationales dans les GATTs depuis 1945 supporte une règle quasi universelle de libre échange transfrontières hors du contrôle des états.

Dans un volume d’activités globalement inchangé, la répartition entre activités, services et produits développées locaux ou importés va être considérablement modifiée dans chaque territoire : il est aisé de comprendre dans quel sens va s’exercer cette évolution.

Les entreprises multinationales, de structure multi-actionnariales sont regroupées sous l’assise de conglomérats financiers dont la puissance est telle qu’elle challenge celle de bien des états.

Les entreprises locales , nationales ou même de dimensions territoriales européennes dont l’activité s’appuie sur des marchés locaux ou régionaux ne feront pas le poids. Elles devront se soumettre, avalées ou placées en position de sous-traitance et pour les plus faibles disparaître. Exporter pour agrandir leur marché serait une solution mais elles n’en ont pas la plupart du temps les moyens et sur le territoire d’en face elles trouveront des concurrents dans la même situation.

Le rapport de forces dans la concurrence sera du côté des entreprises transnationales.

L’expérience de NAFTA (North American Free Trade Agreement), qui a peu attiré l’attention en Europe et qui a maintenant vingt ans d’existence en a apporté la démonstration.

L’industrie mexicaine frontalière est passée sous contrôle des multinationales nord américaines. Les « Maquilladoras »ont remplacé les industries locales autonomes à la frontière. Si globalement l’augmentation des échanges croisés peut favoriser la création d’emplois tertiaires, ils sont loin de compenser les pertes d’emplois industriels locaux et l’abaissement des salaires liés à la mise en œuvre des diverses dispositions de l’accord, avec l’affaiblissement des structures productives purement nationales.

De part et d’autre, dans les zones commerciales concernées, les grandes entreprises ont gagné des bénéfices en élargissant leurs activités et les petites entreprises, avec les ouvriers qu’elles employaient ont pour beaucoup disparues ou ont été absorbées par les grands groupes.

L’abaissement des normes et la destruction des instruments de régulation autant que la liberté donnée à l’investissement étranger de prendre des parts du contrôle économique a réduit le développement local au simple niveau de pion dans une économie casino basée sur le seul profit des actionnaires : le phénomène participe au déclin des compétences qui se délocalisent, au détriment du développement des régions.

Les petites et moyennes entreprises européennes, et même les ETI ont-elles quelque chance d’échapper à la destruction ou à la soumission de cette mondialisation sauvage et destructrice ?

Pour en avoir quelques chances, il nous faudrait revenir sur une idée reçue suivant laquelle le facteur d’échelle est aussi un facteur de développement de l’emploi et des économies locales. L’objectif doit être, tout en améliorant les systèmes démocratiques de redonner du pouvoir aux autorités locales sous le contrôle des citoyens..

Deux mots sur les accords entre économies très déséquilibrés comme ceux que les USA ou l’UE imposent aux pays du Sud notamment ACP sus le prétexte de coopération économique : C’est désormais la forme la plus évoluée de la colonisation moderne et le comportement de Bolloré n’a pas grand chose à envier à celui du comptoir des indes à la grande époque de la domination de l’empire britannique sur le commerce international. Par rapport aux accords dits « de nouvelle génération », on retrouve aussi dans les Accords de coopération économique le même credo du libre échange obligé qui se traduit ici bien plus encore par l’étranglement des structures industrielles et agricoles locales au profit des grands groupes. En addition, on y trouve l’utilisation par les états dominants du levier économique pour une pression politique accrue, notamment pour la gestion des problèmes migratoires dans le grand désordre planétaire lié aux guerres moyen orientales et à la crise climatique.

Plus nettement encore, ces accords Nord-Sud déséquilibrés sont dirigés contre les peuples et leur développement. N’y aurait-il aucune solution ?

Si, bien sur, mais il faudra du temps, au moins autant qu’il en a fallu pour aboutir à la situation actuelle, née du chemin pris par l’économie en 1945 et conduit depuis sous la tutelle transnationale industrielle et financière.

Dans l’immédiat et pour longtemps, l’urgence restera de restaurer l’autorité des citoyens et leurs représentants dans la régulation économique tout en développant des outils de coordination qui ne soient plus prisonniers des transnationales et qui soient en état de gérer la crise sociale et environnementale qui menace l’humanité entière.

Parmi les objectifs à court terme, la reconstruction locale et autonome des communautés, une autre expression pour relocalisation, le refus des accords de « libre échange », la réforme de l’OMC et des organismes internationaux existant permettant une coopération au niveau des états (l’OMS, l’OIT,…) devraient être une priorité.

Malgré toutes ses imperfections et notamment l’emprise qu’ont déjà sur elle les lobbies internationaux, l’ONU reste encore le cadre idoine pour bâtir de nouvelles solidarités et une structure de régulation globalisée, par son caractère de forum représentatif de la quasi totalité des états de la planète, mais si elle a déjà montré une bien plus grande résilience que la défunte Société des Nations, le chemin sera long pour en faire un outil efficace contre l’état de compétition et de guerre commerciale permanente qu’a institué le libre échangisme sous contrôle des entreprises et de la finance.

-o-o-o-o-o-

Laisser un commentaire