Les banques françaises financent l’énergie fossile

Les banques françaises financent l’énergie fossile

Entre 2016 et 2020, les financements des entreprises actives dans le pétrole et le gaz apportés par BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole, Natixis et Crédit mutuel ont augmenté de 19 % par an en moyenne, dénoncent six ONG dans un rapport.

article de Véronique Chocron et Audrey Garric dans Le monde.fr 05/04/21

Les banques nous entraînent-elles vers le « chaos climatique » ? La charge peut paraître violente, mais elle n’est pas totalement infondée. Selon le rapport “Banking on climate chaos, publié, mercredi 24 mars, par six ONG internationales, les soixante plus grandes banques du monde ont accordé 3 800 milliards de dollars (3 213 milliards d’euros) aux entreprises actives dans les énergies fossiles depuis l’accord de Paris sur le climat – le traité international scellé en 2015 après la COP21 pour limiter le réchauffement climatique bien en dessous de 2 °C, et si possible de 1,5 °CParmi elles, les cinq principales banques françaises ont financé ce secteur à hauteur de 295 milliards de dollars. Avec des montants en hausse en 2020, elles sont devenues les plus grands financeurs européens de pétrole, gaz et charbon l’an passé.

A l’échelle mondiale, les banques américaines JPMorgan Chase, Citi, Wells Fargo et Bank of America restent les plus grands financeurs des 2 300 entreprises actives dans les énergies fossiles entre 2016 et 2020. Mais la France est remontée dans le classement, alors que les financements de ses principaux établissements – BNP Paribas, Société générale, Crédit agricole, Natixis et Crédit mutuel – ont presque doublé sur la période : ils sont passés de 45 milliards de dollars en 2016 à 86 milliards de dollars en 2020, soit une hausse de 19 % par an en moyenne, selon le rapport, qui agrège les prêts et les émissions d’actions et d’obligations des banques.

Surtout, les banques françaises – à l’exception de Crédit mutuel – ont accru leur soutien de 36 % en 2020, à rebours de la tendance internationale, à la baisse (− 9 %) du fait de la crise économique liée à la pandémie de Covid-19. Avec 41 milliards de dollars de financements aux énergies fossiles en 2020, BNP Paribas est la banque qui a le plus augmenté ses soutiens l’an dernier au niveau international. De sorte qu’elle s’est classée, en 2020, comme le plus grand financeur européen – dépassant la britannique Barclays – et quatrième mondial de l’industrie des énergies fossil« 

Pas juste un accident de parcours » 

« Alors que les banques françaises ont signé des tribunes et appels pour une relance verte, dans le même temps, elles faisaient des chèques de plusieurs milliards de dollars, sans conditions, aux entreprises qui portent une large responsabilité dans la catastrophe écologique », dénonce Lucie Pinson, la directrice exécutive de Reclaim Finance, ONG spécialisée dans la finance et le climat qui a participé à la rédaction du rapport. 

« 2020 a été une année totalement atypique en raison de la pandémie de Covid-19 », se justifie BNP Paribas dans un courrier envoyé aux ONG, la banque ayant « fortement augmenté son soutien financier à tous les secteurs économiques ». « Les grandes banques françaises ont augmenté chaque année leurs soutiens à l’industrie fossile depuis la COP21 », rétorque Lucie Pinson, en soulignant que 2020 n’est « pas juste un accident de parcours ».

« Les critères d’exclusion (…) épargnent les plus gros exploitants pétroliers et gaziers, dont l’activité est suffisamment diversifiée pour rester sous les seuils » Lucie Pinson, de Reclaim Finance Surtout, les institutions financières, qui se détournent du charbon, ont accru leurs financements aux pétroles et aux gaz les plus risqués, y compris ceux dits « non conventionnels ». BNP Paribas est par exemple la banque à avoir le plus augmenté ses financements au pétrole et au gaz de schiste entre 2019 et 2020. Elle a également accru ses soutiens aux sables bitumineux et ceux aux entreprises en expansion dans les fossiles.

De son côté, Société générale, qui a accordé 19 milliards de dollars aux entreprises des énergies fossiles en 2020, a aussi augmenté son financement vers les entreprises de gaz de schiste : de 390 millions de dollars en 2017 à 2 milliards de dollars en 2020. Elle est la dixième banque mondiale à avoir le plus financé des entreprises opérant en Arctique, entre 2016 et 2020. Crédit agricole se classe neuvième.

Comment expliquer cette hausse, alors que la place financière de Paris a pris des engagements d’exclusion des énergies les plus polluantes ? « Les banques françaises, et en particulier BNP Paribas, ont adopté des politiques d’exclusion qui vont globalement plus loin que celles des autres banques, reconnaît Lucie Pinson. Mais ces critères d’exclusion pour l’Arctique ou le pétrole et gaz de schiste ne s’appliquent qu’au-delà d’un certain seuil d’activité et touchent donc les entreprises spécialisées. A l’inverse, ils épargnent les plus gros exploitants pétroliers et gaziers, dont l’activité est suffisamment diversifiée pour rester sous les seuils. »

Crédit agricole réfute les chiffres des ONG 

Dit autrement, les banques continuent de financer les majors pétrolières qui se développent dans les énergies fossiles les plus sales, car ces dernières y consacrent une partie faible de leur activité en pourcentage mais élevée en valeur absolue.

En 2020, BNP a fourni 13 milliards de dollars à BP et Chevron, et 7,9 milliards de dollars à Total et Shell. Crédit agricole a également accordé en 2020 3,7 milliards de dollars à Total, et Société générale, 1,9 milliard à Exxon. Total développe par exemple cinq nouveaux projets en Arctique, et « 90 % de ses dépenses d’investissement sont orientées vers les énergies fossiles, dont la major entend augmenter la production de 50 % d’ici à 2030 », rappelle Lucie Pinson. « Nous demandons aux banques qu’elles mettent une ligne rouge aux majors pétrolières : comme elles l’ont fait pour le charbon, elles doivent conditionner leur soutien à l’arrêt de l’expansion du pétrole et du gaz, notamment des plus sales », indique Yann Louvel, analyste politique chez Reclaim Finance.

L’utilisation des énergies fossiles, responsables de 80 % des émissions mondiales de CO2, est la première cause du changement climatique. Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 °C, l’ONU estime que le monde devra réduire la production de combustibles fossiles d’environ 6 % par an entre 2020 et 2030. Pourtant, les pays planifient à l’inverse une augmentation annuelle moyenne de 2 %, ce qui, d’ici à 2030, se traduirait par une production plus de deux fois supérieure à celle nécessaire à la limite de 1,5 °C.

Une des banques visées par le rapport réfute les chiffres des ONG. Crédit agricole assure que ses financements aux énergies fossiles, via sa banque de financement et d’investissement, n’ont pas progressé en 2020, mais baissé de 5,5 % par rapport à 2019.

Du côté de la Fédération bancaire française, on fait valoir que les grandes institutions ont instauré des politiques de désengagement du charbon qui sont aujourd’hui « les plus avancées au monde ». Quant au pétrole et au gaz, BNP Paribas reconnaît dans sa réponse aux ONG que beaucoup de chemin reste à faire. « L’essentiel de notre soutien a été apporté aux acteurs européens qui ont vraiment bougé en 2020 en matière de transition énergétique », écrit la banque, tout en constatant que leurs objectifs de réduction ou de neutralité carbone « peuvent encore manquer de clarté (…) et, dans certains cas, d’ambition ».

Véronique Chocron et Audrey Garric

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